Le troisième pilier des Yoga Sūtra est Asana. Asana est un terme sanskrit qui signifie "posture". Schématiquement, pour un Occidental faire du yoga se résume à faire des postures dont les bienfaits vont lui apporter un mieux-être. Pour un yogi, les asanas ne sont pas un objectif, mais un outil qui permet d'atteindre l'illumination. Pour Patañjali, les deux premiers piliers, yama et niyama permettent de purifier l'esprit afin d'arriver pur au 3e pilier. Asana, c'est le travail sur le corps et donc sur l'esprit. C'est un cercle vertueux. Patañjali ne décrit pas une posture, ni même un pranayama. Dans son recueil, il évoque simplement les outils à utiliser pour trouver le chemin vers l'éveil, Samahi. Nous allons donc continuer notre découverte du Yoga Sūtra de Patañjali. Pour ceux qui arriveraient directement sur ce papier, nous conseillons la lecture de notre article sur les huit membres du yoga pour mieux appréhender ce troisième pilier.
Les asanas selon Patañjali : Sthira sukham asana
Patañjali avait le sens du minimalisme. Dans le Yoga Sūtra , il n'assène pas de vérité, mais un chemin à suivre. Vous allez voir que le Sūtra sur les asanas, ce n'est pas un GPS, mais plutôt une direction où chacun va devoir trouver, et peut-être même créer, son propre chemin.
En effet, son troisième pilier trouve sa définition dans un aphorisme de seulement trois mots :
« Sthira sukham asana ». 2.46
Cette phrase va être interprétée des milliers de fois par les plus grands, mais aussi les plus humbles. Elle est capitale, car c'est la seule définition du terme « Asana » dans le Yoga Sūtra .
Ce Sūtra se traduit de plusieurs façons, mais nous retenons la plus admise :
- La posture ferme et confortable
Et celle qui enrichit le sens littéral :
- Être fermement établi dans un espace heureux
Avec simplement trois mots pour définir son troisième anga, on voit quand même pointer un antagonisme. L'opposition entre la fermeté et le confort, entre sthira et sukham, est au cœur du yoga et des débats des spécialistes. Nous verrons que cet antagonisme n'est pas avéré. Pour apprécier ce Sūtra , il faut savoir accepter le paradoxe, accepter que deux idées opposées puissent coexister jusqu'à se lier en trouvant leur point d'équilibre. Il faut se débarrasser de ce que l'on croit connaître, que l'on pense savoir, être humble et ouvert. Tout cela, c'est le travail des deux premiers piliers. C'est évidemment le sanskrit qui va permettre d'enrichir la compréhension de ce Sūtra qui reste quand même assez énigmatique et qui peut laisser dubitatif ; comment est-on passé du Sūtra 2.46 aux 84 postures du Hatha yoga ?
Le sens des mots pour aller plus loin
Pour mieux comprendre cette phrase pour le moins énigmatique, il faut analyser le sens des mots en Sanskrit .
- Sthira : Ferme, solide, effort, stabilité.
- Sukham : Heureusement, tranquillement, facilement, aisément, à l'aise, volontiers, avec plaisir.
- Asana : Posture.
Vous trouverez des analyses complètes et complexes sur chacun de ces trois mots par des spécialistes émérites. La langue indo-européenne permet d'enrichir le sens et de mieux comprendre l'écho de ce Sūtra . Le préfixe "Sthi" donne "Sta" en indo-européen. On obtient ainsi tout le vocabulaire de la stabilité, mais aussi le mot « établir », le fait « de se fixer dans un lieu ».
Nous pouvons commencer à voir les esquisses du yoga que nous connaissons avec la posture du corps ; être ancré au sol, l'esprit détaché des contingences, totalement consacré à l'instant en étant tourné vers sa demeure, le corps. Sukham est composé de Suka qui veut dire « Joie » et « confortable ». Après le corps, Patañjali évoque la posture de l'esprit. Ce Sūtra fait un lien clair entre le corps et l'esprit dans la pratique des asanas. Asana signifie posture. AS, c'est aussi le verbe asseoir qui a donné le nom assiette. On peut comprendre qu'il est nécessaire de s’asseoir, mais ce serait plutôt le fait d'avoir une assise, un fondement. Peu à peu, on tisse une toile où on trouve les esquisses du yoga que nous pratiquons. Et si l’étymologie est une chose de spécialistes, on peut quand même constater que le yoga est un concept de l'esprit et que nos mouvements ne sont que la continuité de la pensée. Pratiquer le yoga, sans travailler sa pensée, c'est un peu comme courir un marathon à cloche-pied. C'est pour cela que les deux premiers piliers du yoga sont consacrés à l’éthique du yogi.
Shtira et Sukham : la quête de l'équilibre
L'antagonisme entre ces deux concepts est assez simple : comment associer la fermeté et la solidité à la détente et la souplesse ? En trouvant la clé de ce paradoxe, on comprend mieux le yoga à travers toutes ses dimensions et surtout la plus importante, l'équilibre. C'est la clé de ce paradoxe. Avec le yoga, on trouve une des rares disciplines où le trop est aussi vicié que le pas assez.
Les deux concepts sont contraires, mais la vérité, si j'ose dire, est de trouver le bon équilibre entre les deux.Si on prend un asana qui peut paraître inextricable pour un débutant, il sera plus aisé pour un pratiquant plus expérimenté. Pourtant, cette logique est parfois bousculée par ce que l'on pourrait appeler la facilité naturelle. La difficulté n'est donc pas un obstacle, mais un chemin pour se parfaire. C'est ce chemin qui doit être heureux, doux et illuminé par la joie. Shitra parle aussi évidemment de la posture.
Vous vous souvenez du sens d'As" dans asanas. Beaucoup ont pensé que Patañjali évoquait uniquement une posture assise. On ne peut que penser à la position du lotus, padmāsana. L'alignement de la colonne est ferme, dans le sens où il n'est pas négociable, mais dans le même temps le corps doit être parfaitement relâché.
Pour figurer, cette analyse, la posture du guerrier I paraît être une magnifique métaphore. Le corps est ancré au sol avec fermeté, rien ne viendra vous ébranler. Le haut du corps est tourné vers le ciel, vers l'infini. Le relâchement est pourtant total, le guerrier est voué à l'instant, au moment présent d'où il tire le contentement. Il est là où il doit être. Pourrait-on dire que cette posture symbolise la résolution du paradoxe du 3e pilier ?
Le 3e Anga : Pour la joie
La joie est sacrée. C'est l'état de sainteté dans le christianisme, celui de l'éveil pour les Hindous et les Bouddhistes. Il ne faut pas confondre la notion de bonheur avec la joie. Le bonheur est un sentiment fugace qui passe et qui s'éveille souvent dans la nostalgie. On se rend compte du bonheur quand il est passé, quand justement l'être est confronté à la douleur. La joie est un État de contentement parfait que même les malheurs les plus indicibles ne viennent altérer.C'est cet état de contentement que le yogi doit toucher pour réaliser ses postures de yoga.
Ce 3e pilier est aussi riche qu'il est succinct. Pour bien le comprendre, il faut y revenir régulièrement tout en pratiquant. Le yoga permet de « faire avant de comprendre » et « ressentir avant d'intellectualiser ». Pour un pratiquant lambda, la première leçon de ce Sūtra serait de prendre conscience que les asanas sont infiniment plus que des mouvements du corps.