C'est un concept primordial pour qui veut parcourir sa vie, habité de la conscience d'un yogi. Le chemin n'est pas une ambition, le but n'est pas une tension quotidienne. Dans cette philosophie, nous parcourons tous le chemin et, la plupart d'entre nous, le faisons sans en avoir conscience. Cela fait partie de l'ordre des choses. Notre part d'universel, ce Moi, cette âme, quel que soit son nom n'aspire qu'à cela. C'est un cycle immuable qui nous mènera tous à l'éveil avec un chemin plus ou moins long à parcourir. Pour figurer cela, on parle des quatre voies du yoga. Le Karma yoga est l'une de ses quatre voies de perfectionnement, mais il faudra parcourir les chemins des trois autres pour libérer votre éternel afin qu'il retrouve son universel. Avant de vous présenter chacune des autres voies, nous allons commencer par le Karma Yoga, le chemin de l'action désintéressée que certains présentent comme la voie la plus adaptée à notre époque et à nous, les Occidentaux, qui devons vivre en prise avec notre ego dans une société qui ne cesse de le stimuler. Le Karma yoga est le chemin de la libération, mais surtout un enseignement singulier pour celui qui le parcours.
L'ego dans le yoga
On peut retrouver dans la topique freudienne une certaine idée de l'ego que le yoga considère comme un poids dont il faut se libérer : le moi, le surmoi et le Ça. Peut-être que les savants nous pardonnerons ce lien, mais pour bien comprendre l'ego que les yogis essayent de diluer pour s'en libérer, on peut penser au surmoi et au Ça. Le surmoi est l'entité de protection, d'interdiction, de jugement tandis que le Ça est le lieu des pulsions. Entre les deux, il y a le Moi. Dans le Yoga, l'ego serait le surmoi qui limite et le Ça qui oblige. C'est tout à fait schématique et nous vous invitons à découvrir la topique freudienne au travers des milliers d'ouvrages qui lui sont consacrés.
Le yogi veut être libre aussi bien des pulsions que de tout ce qui le limite et l'entrave. Vous l'avez entendu des millions de fois sur votre tapis de yoga « Ne te juge pas. ». C'est difficile, même très difficile, car l'ego vient vous juger vous et les autres. Il est sans doute encore plus dur avec lui-même et s'il y a une chose qu'il ne veut pas, c'est bien de se libérer. C'est la petite voix qui vient vous susurrer à l'oreille quand vous essayez de méditer ou qui vous hurle que vous êtes nul et que vous n'y arriverez jamais.
Pour le yogi, cela ne peut exister. Vous êtes sûr de parvenir à vous libérer, cependant le nombre d'incarnation que votre part d'universel va devoir traverser reste un mystère. La libération du Moi, la connaissance et le retour à soi dans le yoga sont uniquement dirigés vers cette parcelle d'universel. Ce n'est pas le moi égotique, pulsionnel et castrateur de la topique freudienne, mais ce qu'on peut appeler notre part universel ou le vrai Moi. Ce chemin à parcourir, c'est le Karma yoga. Il passe par l'effacement du mauvais ego pour revenir à Soi. Intuitivement, on comprend rapidement que le piège en voulant se libérer de l'ego, c'est de s'y noyer, tel Narcisse en se contemplant dans son lac intérieur. Ce piège est presque inévitable puisque trouver le juste milieu demande d'essayer, de se tester pour mieux se connaître, se comprendre et s'aimer. Pour éviter de sombrer dans l'egotisme tout en revenant à soi, il faut faire confiance à l'altérité pour apprendre de sa relation à l'autre et au monde.
Le Karma yoga : le chemin du désintéressement
On pourrait penser qu'agir et mener une action avec désintérêt est une chose simple et qui va de soi. Pourtant, sans tomber dans le cynisme ou la volonté de puissance de Nietzsche qui, selon lui, serait l'essence de nos actes, même les plus généreux, nous faisons beaucoup de choses, car elles servent l'image que l'on veut avoir de soi même si elles sont tournées vers les autres. La nécessité du Karma yoga est de réaliser ses actions sans en attendre un résultat, un avantage ou de la reconnaissance.
Karma Yoga : Satya
Dans le yoga, l'intention est plus importante que la nature de l'action. Évidemment, c'est un chemin difficile à arpenter qui requiert une grande clairvoyance, ce qu'on appelle Satya dans le yama, le premier pilier du Yoga Sūtra de Patañjali. C'est la capacité qu'un yogi doit développer dans sa capacité de regarder en soi en étant objectif, sans jugement, avec amour et à la recherche de sa vérité. Le regard porté n'est plus le sujet de l'ego et permet de se voir sans filtre et avec bienveillance. Satya permet également d'agir dans le désintérêt puisque le yogi est capable de s'observer et de voir ce qui se cache derrière ses actions.
Karma yoga : l'action en ressonance
Si vos actions ne sont plus un cheval de Troie pour votre ego, elles vont entrer en résonance avec l'univers, car elles seront dirigées vers l'autre, c'est-à-dire le monde. Il suffit d'imaginer une action sincère avec l'attente d'un résultat positif qu'il soit financier ou moral : notre action généreuse est orientée vers nous et nous revient comme un boomerang. Son bienfait est finalement limité. Par contre si votre action est instruite par le Karma yoga, elle est totalement dirigée vers l'autre que ce soit un être humain, un animal ou même le vivant et ses bienfaits résonnent dans l'univers ; ce que certains aiment appeler le cosmos. Et si chaque action fait le même chemin, vous ne profitez plus seulement de vos actions, mais de toutes celles du vivant.
Karma yoga : le désintérêt pour libérer le Moi
C'est peut-être la limite du concept ou plutôt la limite de votre humble serviteur. Les concepts du yoga sont aussi simples que complexes, car ils demandent aussi de se détacher de l'intellect. Humblement, on peut se dire que faire les choses par désintérêt absolu tout en se disant que c'est bien pour se libérer de l'ego, ce n'est tout de même pas totalement désintéressé. Peut-être que la réponse est plus en avant sur le chemin du Karma yoga. Néanmoins, le fait d'agir dans le désintérêt permet de purifier ses actions de l'ego et finalement d'apprendre à vivre en tant qu'être libéré. Cela signifie que vous serez moins empêché de faire et d'être, que les plafonds de verre que votre ego a créé de toute pièce par peur de l’échec vont s’évanouir. Il n'y aura pas plus de « tu n'y arrives pas » que de « tout t'es dû, va le chercher » : vous ferez les choses parce qu'elles correspondent à votre Moi universel et plus aux injonctions de votre ego qui est une construction des déterminismes de cette vie, mais aussi de celle d'avant dans cette philosophie.
C'est la voie du Karma Yoga qui est celle de la libération de l'ego, des chaînes qui se brisent et des croix trop lourdes à porter qu'on abandonne tout au long du chemin. Là encore, ce n'est pas un chemin de douleurs et personne ne sait comment être sûr de réaliser une action dans le désintérêt : c’est dans le secret de votre âme ou de votre conscience. Ce qui compte, comme dans le yoga postural, c'est l'action, c'est le fait d'essayer, d'apprendre à se regarder, de parvenir à Satya. Et si la discipline parle de quatre voies, c'est que chacune apporte une qualité pour toucher à l'éveil. Est-ce que Satya ne serait pas l'une d'elles ?